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kopf
26 avril 2007

Le murmure des timbres

6616588_m Je m’étais débarrassée de mes bagages par gestes automatiques. Les lieux m’étaient connus, toutes ces chambres d’hôtel étaient les mêmes. Que l’on soit à Istanbul, Rome ou Pékin , on avait toujours la chance d’être nulle part. Allongée sur le lit, j’ouvris les yeux pour ne pas me laisser envahir par je ne sais quelle fatigue au goût de naufrage. De garde sur le mur, face au lit, un rectangle multicolore provoquait la douceur mièvre et terne de la pièce. Je m’approchais, appuyée à la table, je le détaillais de mes yeux à court de lunettes. C’était un collage de timbres, de mille origines, de couleurs et tailles diverses, leur dissemblance choquait le regard. Des princes, des sportifs, des rois, des reines, des tyrans se chevauchaient, se tutoyaient, s’accolaient, se toisaient. De si près je pouvais entendre les mots dont ils furent les passeports. De Belgique, un fringant officier à moustaches transportait les mots pudiques d’une jeune amoureuse. Seul, égaré dans les tranchées, un tendre pioupiou mentait à sa mère et dissimulait sa peur sous le regard dangereusement paternel d’un militaire cousu dans son uniforme. A Venise, un gondolier attendait près de sa gondole, les jeunes mariés s’agaçaient déjà – enfin tu peux bien mettre un mot à mes parents - . Que pouvait bien annoncer ce sportif élancé depuis l’URSSS ? un bonheur pour demain sur un présent hasardeux. Et cet ouvrier penché sur son établi ? un fils rassurait ses parents, les grèves ne sont pas si terribles, nous avons raison de lutter. Sur fond rouge et or, un drakkar attendait le départ, prêt à tout pour déposer le message d’ un impétueux décrivant à sa belle, les vastes mers de tendresse qu’ils découvriraient ensemble. Depuis la basilique de Lourdes, enrubanné dans un océan de cierges un espoir désespéré psalmodiait sa souffrance. Une Marianne, le bonnet de travers emportait l’ébahissement d’un jeune étudiant –chers parents, quelle belle ville que Paris, je me promène le long de la Seine, hier dimanche je suis allé dans un café, j’y ai même vu des femmes qui fumaient ! De Berlin, un homme à l’écriture crispée finissait sa lettre à son frère ? pouvait-il venir à Paris avec sa famille, ici les jours semblaient si bruns et les nuits si rouges ? il prenait le timbre, crachait dessus et d’un poing rageur et impuissant collait le maître du Reich sur l’enveloppe. Monaco, de ses mains raidis à triturer les jetons ,un joueur s’accrochait à une fontaine et ses yeux fatigués confondaient encore papier et tapis vert ? Lui jure-t-il qu’il va arrêter ? qu’il l’aime trop pour gâcher sa vie ? En retour, une énorme cloche disgracieuse sonnait le glas de ses bonnes résolutions. Trop tard, j’en aime un autre. Le lion belge, debout sur ses pattes arrières ressemblait à un caniche savant qui aurait perdu son ballon, que disait- il ? Rien, les lions sont muets surtout quand on les a fait fondre. Echappée du Congo, une statue africaine apportait les nouvelles glorieuses d’un civilisateur conscient de sa mission - le pays est beau, les gens sont fiers d’apprendre ! - Des enfants en visite s’essoufflaient sur une carte postale. On a vu le défilé royal, le carrosse, les gardes, les chevaux, on a tout vu, on était au premier rang. Et pour preuve ils piétinaient à la poste principale pour acheter le petit carré rouge dans lequel on avait finement encadré le couple royal. Pas très loin des ruines de l’Abbaye Saint Wandrille, le père se mettait à son bureau – Cher fils, et où as-tu été exactement, ce dimanche, pour rencontrer des femmes qui fument ? Post Sriptum – je n’ai pas lu ta lettre à ta mère - Des avions passèrent en rase mottes, et leurs hélices soulevèrent toutes les pages, les voix réveillées grondèrent toutes ensemble. Les mères parlaient aux enfants trop loin partis, à leur filles mal mariées, à leurs maris silencieux. Les promis à leurs promises, les plus jeunes aux vieillards qui secouaient la tête en écoutant, la guerre avait bouffé tout le monde. Que Dieu nous garde celui-la. Des oncles roublards s’inventaient des conquêtes dans des pays soumis et leurs nièces, revêtues de rêve de robes tournaient en secret devant les miroirs. Un jour, un jour …., elles collaient sur l’enveloppe un jeune premier. Message codé – mon oncle, vois-tu celui que j’attends ?- Les cris des ces écrits si longtemps enfermés traversaient la chambre, cognaient contre les murs et m’étourdissaient de leurs sentiments emmêlés. Reviens…, tu m’aimes…, tu me manques…, Maman est au plus mal…, comment t’oublier ?…, il n’y a plus d’hommes, comment faire la moisson ?…, le Père est parti à la foire, nos bêtes sont les plus belles,…, reviens…, quand cette guerre va-t-elle finir… ? je n’attends que notre mariage, rien ne compte plus que toi …. Trop près du tableau, devenue chambre d’écho, je souffrais, j’espérais, je riais, j’attendais mon amour, je le quittais sur un quai de gare, accrochée à la foule, j’attendais moi aussi le carrosse royal…….. , je m’éloignai vivement de ces voix désaccordées, détimbrées. De quelques pas plus loin, le tableau laissait voir des vagues de couleur successives, bruns clairs ou foncé en un premier cercle puis verts et bleus parsemés de gris qui dessinaient en majeur une tache rouge orangé, un visage ? un pays ? Je ne reconnaissais pas. Posé au centre de cette corolle vivace, un carré gris perle irradiait comme un diamant posé sur un coussin de satin éclatant. Je revins à la table, mains appuyées sur le mur, j’encadrais le tableau, je dévisageais une dame blanche au port de reine dans son écrin de papier. Elle me regardait légèrement de profil et se laissait admirer. Un diadème ou bandeau blanc dégageait son front et laissait voir deux rouleaux de chevelure noire. Seule une reine savait s’offrir un visage aussi parfait. Aucun peintre aussi courtisan et talentueux qu’il soit n’aurait assez d’agilité pour équilibrer si justement l’arrête d’un nez, la minceur des lèvres et la rêverie du regard. Deux rangs de perles signaient la délicatesse de son cou et la tranquillité sereine de son décolleté. Elle était envoûtante. Un air d’opéra remonta à mes oreilles Prenez garde, la Dame Blanche vous regarde La Dame Blanche vous entend Je reculais, les mots s’étaient à nouveau endormis derrière leurs rideaux dentelés, je retrouvais mon chagrin. Je n’avais personne à qui l’écrire. Prenez garde !    Anne Baud

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Commentaires
A
Frédéric, bravo pour votre blog, il est très bien fait, les photos sont remarquables et les objets très bien mis en valeur. Ô le magnifique bureau "année 50" !<br /> Petite remarque sur mon texte "Le murmure des timbres" vous n'avez pas mis mon nom "Anne Baud" .<br /> Cet oubli m'a fait sourire car ainsi que je le disais à Pierrette il confirme un de mes jeux de mots préférés (sur mon compte) Abonnée absente = A.Baud, née absente !!!!!<br /> Je vous salue cordialement et vous souhaite une très bonne journée
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